Après l’adoption d’une directive européenne sur le travail des plateformes, c’est au tour de l’Organisation internationale du travail (OIT) de bûcher sur une norme internationale sur ce sujet. La négociation s’ouvrira en juin 2025 à l’occasion de la 113ème Conférence internationale du travail (CIT) mais le travail a déjà commencé. Tout récemment, la CFE-CGC a répondu à un questionnaire élaboré par le Bureau international du travail (BIT) qui en compilera les réponses pour proposer la première version du texte de la future norme.
UNE GENÈSE LABORIEUSE
Le travail des plateformes a décidément fait son petit bonhomme de chemin à l’OIT depuis la Déclaration du centenaire de 2019. Celle-ci consacrait que les membres de l’OIT devaient mettre en œuvre « des politiques et des mesures permettant d’assurer une protection appropriée de la vie privée et des données personnelles, de relever les défis et de saisir les opportunités dans le monde du travail qui découlent des transformations associées aux technologies numériques, notamment le travail via des plateformes ».
Dans ce sillon, le Conseil d’administration (CA) a décidé en mars 2021 d’organiser une réunion tripartite d’experts qui s’est déroulée en octobre 2022. Fait inédit, cette réunion s’est soldée par un échec et n’a pas adopté de conclusions. Le CA a alors demandé que lui soit remise une étude faisant état des lacunes normatives éventuelles à ce sujet. Celle-ci en a révélé d’importantes et, en mars 2023, le CA a décidé d’inscrire une discussion normative à l’ordre du jour des 113ème et 114ème CIT de 2025 et 2026. Un rapport de cadrage publié en janvier 2024 contenait un questionnaire à l’attention de l’ensemble des membres dont les réponses seront compilées pour élaborer une première version de la future norme.
LES RÉPONSES DE LA CFE-CGC AU QUESTIONNAIRE
Sur la nature de l’instrument, la CFE-CGC s’est prononcée pour l’adoption d’une convention complétée d’une recommandation. Cette option s’impose lorsqu’on constate le choc d’ineffectivité des lois dérivé de l’arrivée des plateformes dans le monde du travail. L’étude relative aux lacunes normatives est sans équivoque sur la nécessité de consacrer une norme internationale propre au travail des plateformes.
L’importance du préambule : poser le bon diagnostic sur le contexte du travail des plateformes
Les normes de l’OIT s’ouvrent toujours sur un préambule qui joue un rôle crucial puisqu’il va fixer l’esprit de la norme à l’aune duquel elle doit être interprétée. C’est là où des éléments de contexte politique et économique sont consacrés. Le BIT, qui a rédigé les questions, est dans l’obligation de refléter toutes les tendances. Sur le contexte, une tendance patronale consiste à dire que l’arrivée des plateformes est positive puisque créatrice d’emplois et d’opportunités commerciales pour les entreprises. Les travailleurs et la CFE-CGC pointent au contraire la création massive d’emplois précaires et informels et, dans la majorité, des situations de salariat déguisé.
Par ailleurs, les particularités désignées du travail des plateformes n’ont rien de particulières et sont le fruit d’une méconnaissance de ce qu’est aujourd’hui le salariat. En effet, les plateformes n’offrent pas une flexibilité réelle dans l’organisation du travail contrairement à de nombreux salariés qui, aujourd’hui, bénéficient d’une grande autonomie. Conséquemment, le management algorithmique et la gestion par incitations constituent la spécificité de ce travail et la future norme doit les mettre au centre.
Au cœur de la future norme, l’accès des travailleurs des plateformes à des droits basiques
Le questionnaire est très exhaustif et passe en revue, notamment, les points les plus clivants. Le champ d’application de la future norme en est un. La plupart des législations dans le monde ayant légiféré sur le sujet ont souvent consacré des exclusions par rapport au régime du travail de droit commun pour les travailleurs des plateformes. Le questionnaire pose la question du champ d’application et ouvre la possibilité d’exclusions analogues. La CFE-CGC a répondu par la négative à ces questions puisque ce sont précisément ces exclusions qui ont contribué à rendre ces lois inopérantes pour améliorer les conditions de travail de ces travailleurs. La future norme ne doit pas reproduire cette erreur.
La future norme devra consacrer certaines garanties basiques du droit du travail : responsabilité en termes de santé-sécurité des plateformes ; garantie et protection des salaires ; garantie que le salaire soit au moins équivalent au salaire minimum légal ou négocié ; limitation de la durée du travail et garantie de temps de repos journalier et hebdomadaire ; reconnaissance des périodes où les travailleurs attendent des tâches et se tiennent à disposition de la plateforme comme du temps de travail effectif rémunéré comme tel ; ou encore la protection contre les représailles pour refus de tâches et la reconnaissance de droits relatifs au licenciement.
Les algorithmes sont abordés dans le questionnaire sous l’angle de leurs impacts sur les conditions de travail. Il s’agit d’éviter que les algorithmes n’entrainent des discriminations directes ou indirectes ou ne créent des risques pour la santé-sécurité des travailleurs. Par ailleurs, il sera question d’une éventuelle obligation d’information des plateformes envers les travailleurs et leurs représentants de l’utilisation d’algorithmes à des fins d’organisation, de supervision et d’évaluation du travail. La CFE-CGC s’est prononcée favorablement pour cela et a également proposé de se calquer sur la directive européenne qui consacre une obligation d’information par écrit.
Le prochain rapport du BIT contenant les réponses reçues au questionnaire ainsi que la première version du texte proposée est attendue début 2025. La CFE-CGC ne manquera pas d’analyser cette version pour se préparer au mieux à cette négociation d’envergure.
Ana Cuesta