Ce n’était pas un 24 décembre, mais presque… Un 24 novembre. Catholique très croyante, sa mère saisit l’occasion de cette date symbolique pour le prénommer Noël. Elle tenait à ce que l’un de ses enfants porte ce prénom. Et en Côte-d’Ivoire, on place le nom du parrain avant le prénom usuel (Seri Zoleba Noël) : Seri Noël était né.
Il grandit en Afrique jusqu’à ses 16 ans. Ses deux parents parlent des dialectes légèrement différents, alors la langue de Molière fait office de dénominateur commun. Dès lors, pas de difficulté de ce point de vue lorsqu’il rejoint l’un de ses sept frères et sœurs, installé dans l’Hexagone avant lui.
Il passe un bac C, le rate. Un CAP-BEP de chauffagiste, il le réussit. Mais il ne parvient pas à être recruté : on lui reproche de manquer d’expérience. Or, petit boulot après petit boulot, lui veut travailler, au plus vite, pour s’installer avec celle qui deviendra sa femme. Chose faite, ils s’implantent à Méru, dans l’Oise, village où vit la famille de sa moitié. Mariés depuis 32 ans, ils y habitent encore. Seri Noël travaille dans l’usine de l’équipementier automobile Forvia, au sein de laquelle il est entré en 1997 comme ouvrier spécialisé intérimaire.
PLAFOND DE VERRE
Pendant un an, il a d’abord fabriqué des boîtes à gants et des planches de bords. Puis il devient polyvalent. Très vite, il passe « team leader » puis « gap leader » en 2000, autrement dit chef d’un groupe autonome de production. Il manage alors une dizaine de personnes sur une ligne. En 2002, il change de métier et intègre le contrôle qualité en tant qu’agent de maîtrise. Peinture, assemblage de planches, d’injection : il veille à la qualité dans différentes sphères de la production. Jusqu’à la qualité client, un poste plus commercial visant à minimiser l’impact de produits défectueux qui seraient passés entre les mailles du filet.
Au bout de dix ans, au début de la décennie 2010, Seri Noël passe en supervision de production. Cette fois, et pendant huit ans, il encadre 25 à 30 personnes avec quatre équipes elles-mêmes pilotées chacune par un gap leader.
Mais vient le temps où il se heurte à un plafond de verre. « Durant les entretiens annuels d’évaluation, on me promettait depuis 2014 que j’allais passer cadre. » Il attendra huit ans avant d’obtenir ce témoignage de reconnaissance. En cause ? Une double discrimination. Syndicale d’abord, estime-t-il, tant on lui a souvent reproché cet engagement alors qu’il occupait des fonctions managériales. Mais raciale, aussi. « Je ne regarde pas la couleur, je ne me dis pas que si untel est malveillant, c’est parce qu’il est raciste. » Mais il doit tout de même se rendre à l’évidence quand on lui rapporte des propos de certains de ses responsables hiérarchiques du type : « Ah bon, on a un black en qualité ? »
Il ne lâche rien. Ni ses engagements, ni son travail, ni sa volonté de voir sa carrière progresser. Au contraire : les formations qu’il reçoit au sein de la CFE-CGC l’aident, assure-t-il, à obtenir le statut cadre : « J’ai beaucoup appris à structurer et à organiser des réunions, à rédiger des convocations et des ordres du jour, etc. »
MULTIPLES COMBATS
Sur le plan syndical, il n’est resté que peu de temps simple adhérent, mettant rapidement les mains dans le cambouis comme militant. Il intègre d’abord le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Membre pendant deux mandats, il en devient ensuite secrétaire durant cinq mandatures. En 2018, il est nommé délégué syndical puis, un an plus tard, délégué syndical central de la CFE-CGC Forvia. « Cet engagement syndical m’a permis de discuter d’égal à égal avec la direction, d’agir et de faire de belles rencontres. »
Tout ceci lui est aujourd’hui plus qu’utile dans un contexte de difficile plan de sauvegarde de l’emploi prévu sur le site de BSO en Bretagne (72 emplois visés) et d’annonce, par le PDG au printemps dernier, d’un plan social qui pourrait concerner des milliers d’emplois en Europe, dont possiblement la moitié en France. « Dans l’usine de Méru, nous sommes environ 300 et 630 au CREA (centre de recherche). Il fut un temps, nous étions 1 000, soit 2 000 avec le CREA ! Et là encore, nous sommes en sureffectif », observe Seri Noël.
À ses yeux, le constat est simple : les ventes automobiles stagnent en Europe, l’industrie ne peut que décroître. Autre difficulté : la France a perdu en compétitivité, notamment vis-à-vis de « la concurrence déloyale » de certaines usines, au Maroc par exemple, qui ont toujours produit à moindre coût et qui le font depuis peu à niveau de qualité équivalent. Enfin, la réduction de la production de moteurs thermiques conduit à la disparition de certaines activités. L’intelligence artificielle générative dans les centres de recherche va aussi compliquer la donne. « Tout ça va faire très mal », prévoit Seri Noël.
La voix est posée, l’analyse ciselée. Mais l’homme est combattif : « On travaille à trouver le meilleur compromis pour que les départs s’opèrent dans les meilleures conditions possibles.Il faut aussi ne pas remercier tous les manageurs, les ETAM (employés, techniciens et agents de maîtrise). Ils seront nécessaires lorsque l’activité redémarrera ! La direction, elle, ne vise que la réalisation d’une opération financière, comptable, au détriment du redémarrage et de la pérennité. »
Une fois encore, ici sur le plan collectif, Seri Noël ne lâche rien. Le militant s’investit de plus en plus, se rapprochant des unions départementales CFE-CGC et de l’union régionale des Hauts-de-France. « La dynamique est forte. Et puis les boîtes vont mal, plus notre rôle se renforce. »
L’engagement syndical consomme une large part de la disponibilité et de l’esprit de Seri Noël. Mais le néo-quinqua conserve du temps pour ses deux havres de paix : sa famille, dont son épouse et ses trois filles de 29, 25 et 21 ans ; et un goût prononcé pour la rénovation de meubles.
Son avenir à dix ans, il le voit pourquoi pas partagé entre la France et un pays où il y aurait davantage de soleil… En attendant, il prévoit d’emmener ses filles en Côte-d’Ivoire l’an prochain, deux d’entre elles n’y étant encore jamais allées. Ses filles dont il est heureux qu’elles aient une double culture et à qui il transmet son goût de l’engagement et de la tolérance, celle-là même que ses parents lui ont léguée en partage… Avec, toujours logée quelque part, l’idée qu’il ne faut jamais renoncer à ses rêves, jamais lâcher.
Sophie Massieu
BIOGRAPHIE
1973
Naissance en Côte-d’Ivoire.
1989
Arrivée en France.
1997
Embauché à l’usine Forvia de Méru (Oise).
2002
Agent de maîtrise en qualité.
2008
Secrétaire du CHSCT (5 mandats).
2018
Délégué syndical CFE-CGC.
2019
Délégué syndical central.
2022
Obtient le statut de cadre.