Vous êtes professeure de sociologie à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines/Université Paris-Saclay, chercheuse au laboratoire Printemps et au CEET-CNAM. En quoi consistent vos travaux ?
Sociologue, je suis spécialisée dans les relations professionnelles entre les salariés et leurs représentants, les employeurs et l’État. Je travaille plus spécifiquement sur le syndicalisme, la négociation collective et les conflits en entreprise. J’ai collaboré à des travaux collectifs sur l’engagement syndical des jeunes. Avec mes collègues chercheurs, économistes et ergonomes du Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET) du CNAM, nous travaillons actuellement sur les dynamiques de négociation en entreprise et sur la façon dont les organisations syndicales prennent en compte les questions liées à la transition écologique et comment celles-ci sont traitées dans le cadre du dialogue social en entreprise.
Qu’en est-il de la perception des jeunes générations vis-à-vis du syndicalisme ?
Les jeunes sont très peu syndiqués, en-dessous de la moyenne toutes classes d’âge confondues. Toutefois, de nombreux travaux, en particulier ceux de la Dares (ministère du Travail), montrent que les taux de sympathie envers les organisations syndicales sont satisfaisants et que les jeunes actifs ont une nette propension à déclarer que les syndicats sont utiles pour représenter les salariés dans les entreprises. Clairement, il n’y a donc pas de défiance exprimée par la jeunesse envers le syndicalisme et l’action syndicale.
Quels sont les freins à l’engagement syndical ?
Les jeunes ne sont évidemment pas un bloc homogène. Il y a des secteurs où les taux de syndicalisation sont culturellement plus élevés, par exemple l’industrie, la banque, les pharmacies, et d’autres où c’est l’inverse. Dans le commerce ou les services à la personne par exemple, avec des entreprises souvent dépourvues de comité social et économique (CSE), il y a une méconnaissance manifeste de ce qu’est un syndicat. Les autres facteurs sont la taille de l’entreprise – on est davantage syndiqués dans les grandes entreprises que dans les TPE-PME – et la stabilité de la situation professionnelle. En effet, la précarité et les contrats courts, bien plus élevés chez les 18-35 ans, sont un frein à l’adhésion syndicale.
Un travail de fond à mener sur la valorisation des compétences et des parcours syndicaux »
Il faut aussi rappeler qu’exercer des missions syndicales influe sur la carrière professionnelle et que les mandatés syndicaux sont encore trop souvent victimes de discriminations. Un travail de fond à mener porte donc sur la valorisation des compétences et des parcours syndicaux. Certaines entreprises jouent le jeu avec des accords en bonne et due forme sur le sujet (par exemple Orange), d’autres beaucoup moins.
Que doivent faire les organisations syndicales pour attirer des jeunes salariés et préparer la relève ?
Il s’agit en premier lieu de se faire connaître, de se rendre sur le terrain – par exemple à la rencontre des saisonniers – pour leur expliquer leurs droits et à quoi sert l’action syndicale. Encore aujourd’hui, ce qui vient à l’esprit des jeunes générations quand on parle syndicalisme, ce sont les grandes mobilisations nationales. Beaucoup n’ont jamais entendu parler d’un CSE en entreprise. Il nous semble aussi fondamental de mieux intégrer les enjeux du dialogue social et des relations au travail dans les programmes scolaires. J’ajouterais que les syndicats doivent agir sur le fonctionnement interne et la culture de leur organisation, sur la féminisation des instances, ainsi que sur leur corpus revendicatif avec des thématiques mobilisatrices comme l’environnement, le climat, l’égalité professionnelle femmes-hommes, etc.
La mobilisation contre la réforme des retraites a redonné du crédit et de la visibilité aux syndicats »
Dans quelle mesure la grande mobilisation contre la réforme des retraites a suscité un regain d’intérêt pour le syndicalisme ?
Cette mobilisation historique sous l’impulsion d’une intersyndicale unie a permis aux citoyens de mieux comprendre les enjeux liés à la retraite, de donner du crédit et de la visibilité aux organisations syndicales. C’est la même chose en entreprise : quand il y a des syndicats, que des informations sont données aux salariés, qu’on comprend l’utilité des représentants du personnel en termes de négociations, d’avancées obtenues, on suscite forcément davantage des velléités d’adhésions et d’engagement militant.
Qu’en est-il de la féminisation des effectifs syndicaux ?
Il y a des effets structurels : les femmes occupent plus majoritairement que les hommes des emplois à temps partiel et travaillent davantage dans des secteurs peu syndiqués tels que les services à la personne, les soins, etc. Cela ne favorise pas l’engagement syndical. Idem concernant les charges domestiques du foyer familial, qui demeurent plus souvent l’apanage des femmes. Des travaux montrent également que des femmes stoppent leur engagement syndical à l’arrivée du premier enfant, contrairement aux hommes. Là encore, des évolutions organisationnelles et culturelles sont nécessaires pour améliorer les choses.
Propos recueillis par Mathieu Bahuet